Un appel à la CRR Commission indépendante pour les victimes d'abus sexuels commis par des religieux.
Je m’appelle Jean-Pierre Martin Vallas, et j'ai été victime d'une agression sexuelle à l'âge de 8 ans Aujourd'hui avec mon regard d'adulte, je la qualifierai de soft, mais en fait, ma réaction en tant qu'enfant a été beaucoup plus impressionnante, puisque j'ai fait ce qu'on appelle une amnésie post traumatique, c'est-à-dire que je n'avais plus aucun souvenir conscient de cette agression de l'âge de 8 ans jusqu'à l'âge de 42 ans, et ce n'est qu'à 42 ans que j'ai vu ces images me revenir en tête :
dans une colonie de vacances dirigée par un prêtre jésuite, à côté de Compiègne, nous étions une vingtaine de garçons du même âge dans un dortoir ; il était 2h du matin, le père Lamande faisait sa ronde dans le dortoir, il était en pyjama et moi j'étais à moitié réveillé dans mon lit ; quand j’ai réalisé qu’il rentrait dans mon lit ; il a commencé par me caresser le torse , passant ses mains sous mon pyjama, puis il a voulu me caresser les fesses toujours en passant ses mais sous mon pyjama ; alors j’ai eu une réaction instinctive de rejet en m’écartant de lui dans le lit, il n'a pas insisté, il est parti, il a continué sa ronde, plus rien ne s'est passé ;
j'ai effacé cet événement de ma mémoire
Les chiffres de ce tableau couvrent la période 1945-2020 ; il y a eu à cette époque 115 000 prêtres dont 3 200 pédocriminels, soit un pourcentage de 2,8 %; il y a eu 216 000 victimes de pédocriminels, ce qui fait un chiffre moyen de 68 victimes par prêtre ; si l'on utilise ces pourcentages pour la Congrégation des Jésuites et en partant du chiffre de 3 000 prêtres jésuites pendant cette période, on arrive à un nombre de prêtres jésuites pédocriminels de 84 et si l'on repart des 68 victimes par prêtre, on arrive à un nombre de victimes de prêtres jésuites de 5 712 . Le 12 mars 2022, les jésuites faisaient état de 55 jésuites prédateurs connus et 58 victimes de ces prêtres connus ; on peut donc noter qu'il n'y a pas plus de 1 % des victimes des prêtres jésuites qui se sont manifestées auprès des jésuites, auprès de la Ciase, ou auprès de l'église.
Je disais que à l'âge de 42 ans ces images m'étaient revenues en tête très fortement, de manière presque lancinante ; il fallait que je sache si je rêvais éveillé ou s’il y avait un fond de réalité derrière ces images ; j’ai donc décidé d'aller voir Gilbert Lamande ; je me suis rendu dans les locaux du petit collège , ils n’avaient pas encore changé par rapport à ce que je connaissais ;c'était un jour ou il n’y avait aucun élève, et pratiquement personne dans les bâtiments ; je suis rentré dans le bâtiment administratif et là j'ai vu une personne qui m'a dit « Gilbert Lamande est décédé » ; je dois dire que j'étais un peu déçu, mais surtout soulagé ; parce que je craignais un peu quelque part la confrontation ; et ensuite j’ai laissé de côté cette question, étant pas mal occupé pendant cette vie active, et quelques années après mon passage à la retraite, j'ai écris puis été voir le père Lamy, qui était le supérieur de la congrégation des jésuites de Saint-Louis de Gonzague ; et je lui ais demandé : « est ce qu’il y a d’autres victimes connues du père Lamande, est ce que vous avez, ou est ce que vous pouvez enquêter sur ce sujet ? » il a mis 6 mois à me répondre, et en fait il avait repassé la balle à son supérieur, le régional de France, qui lui a fait dire que 50 ans après, il n'était pas bon de réveiller les souvenirs des victimes éventuelles, de les déranger dans l’équilibre plus ou moins instable qu’ils avaient retrouvé, donc la Société de Jésus ne ferait rien ; en six mois j’avais senti le coup venir et dans les 8 jours qui ont suivi j'ai envoyé 1 000 e-mails aux anciens élèves dont je connaissais l'adresse mail à travers l'annuaire des anciens élèves ; j’ai reçu 10 réponses de victimes du même Gilbert Lamande ; j’ai donc acquis la certitude que je n’avais pas rêvé, que cette agression était réelle, et je me suis ensuite battu, et je continue d'ailleurs à me battre avec les jésuites, pour qu’ils enquêtent, pour qu’ils tendent la main auprès des autres victimes du père Lamande, car il y en a sûrement plus d’une centaine ; en Mai 2016 grâce à une journaliste de France Inter, on a fait un petit buzz médiatique , basé sur ma dénonciation d'un prêtre pédocriminel jésuite dans ce que la journaliste disait être le meilleur collège des jésuites de France ; et à la suite de ce buzz médiatique , j'ai reçu à nouveau 20 témoignages, 10 de victimes de ce prêtre, 10 autres victimes d'autres jésuites ; mais ce qui m’a le plus marqué dans cette expérience, c'est que sur ces 30 victime avec qui j'ai été en contact, trois m’ont dit « Jean Pierre , tu es la première personne à qui j’en parle » C’était des hommes de 60/70 ans, et j’avoue que j’ai été extrêmement touché, profondément touché, que sur une telle durée de leur vie , ils n'aient jamais pu en parler à quiconque ; de cette expérience, j’ai compris qu’il était indispensable, de tendre la main et d’encourager à parler ces 60 % de victimes qui n'ont jamais parlé à personne et qui sont murées dans leur silence et dans leur souffrance ; et ces 40 % de victimes qui ont pu en parler à leur entourage, mais pas à la Ciase et sûrement pas à la CRR, et il existe des méthodes, j’en connaîs deux, et il y en a sûrement d’autres, pour les approcher et les motiver à parler ;
la première est celle utilisée par un jésuite, Klaus Mertes, à l’époque ou il était directeur du collège jésuite de Berlin ; un jour, d’ailleurs en 2010, en même temps que ma démarche, trois anciens élèves sont venus le voir et lui ont dit « nous avons été victime de ce père jésuite » ; dans les 8 jours il a envoyé 600 lettres aux 600 anciens élèves qui avaient été en contact avec ce prêtre ; bien évidemment, ça a fait un buzz médiatique et un scandale , dans cette communauté , dans les parents d'élèves, et même dans la société berlinoise ; heureusement, son chef, le régional d’Allemagne, l’a soutenu ;
la deuxième approche est celle de la Parole Libérée, qui a , elle fait énormément de choses auprès des médias ; qui a énormément fait parler d’elle ; et qui a reçu, je crois, 400 témoignages de victimes, si ce n'est plus ;
cela prouve bien un peu de volonté, et pas forcément beaucoup de moyens on peut avoir des résultats pour approcher ces victimes, et les encourager à parler ;
Je voudrais conclure en disant avec force qu’il me semble indispensable que quelqu'un s'occupe de tendre la main à ses 5 000 victimes qui ne se sont jamais exprimées publiquement et à 60 % de ses 5 000 victimes qui n'en n'ont jamais parlé à personne ni même dans leur entourage .