COMMISSION RECONNAISSANCE ET RÉPARATION Formation de réexamen
COMMISSION RECONNAISSANCE ET RÉPARATION
Formation de réexamen
N° de situation : 111
Jean Pierre Martin-Vallas
Né le 5 juillet 1945
ET
La Compagnie de Jésus
Province d’Europe Occidentale Francophone
42 bis Rue de Grenelle Paris 75007
Représenté par Grégoire le Bel s.j. adjoint du Provincial
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La Formation de réexamen composée d’Alain Girardet, président, de Sœur Anne Chapell et
d’Olivier Savignac, membres, a pris le 13 juin 2023 la décision suivante :
Vu la lettre de mission de la CORREF du 30 novembre 2021,
Vu le règlement de procédure de la CRR et le règlement pour le réexamen d’une situation,
Vu la saisine de la CRR par M . Jean-Pierre Martin -Vallas en date du 9 janvier 2022,
Vu la recommandation émise par la CRR le 8 novembre 2022,
Vu la demande de réexamen formée par M. Martin-Vallas le 3 décembre 2022,
Vu l’accord donné à la procédure de réexamen, le 15 février 2023 par M. Martin-Vallas et
le 22 février 2023 par la Compagnie de Jésus,
Vu la note de M. Martin-Vallas du 20 février 2023,
Vu les observations de la Compagnie de jésus en date du 22 avril 2023,
Vu l’audition, le 15 mai 2023, de M. Martin-Vallas par les membres de la formation de
réexamen, en présence (par visioconférence) de M. Grégoire Le Bel, représentant la
Compagnie de Jésus, ce dernier également entendu,
M. Martin-Vallas a déclaré avoir été victime, alors qu’il était âgé de 8 ans environ, d’une agression sexuelle commise par le père Gilbert Lamande, membre de la Compagnie de Jésus (la Congrégation). Il a précisé que cette agression, survenue lors d’une colonie de vacances, avait consisté en des attouchements qui avaient provoqué chez lui une amnésie post traumatique jusqu’à ce que des images précises lui soient revenues à l’âge de 42 ans.
Il a saisi la CRR d’une demande de reconnaissance et de réparation et a sollicité, outre une réparation financière qu’il qualifie de secondaire, diverses demandes portant, notamment, sur l’obtention d’informations relatives à l'existence d'autres victimes de G. Lamande et au parcours de celui-ci, la consultation des archives de la Congrégation, la réalisation d’une véritable enquête pour rechercher les victimes inconnues à ce jour de chacun des prêtres pédocriminels identifiés. La Congrégation, qui a eu avec lui divers entretiens, lui a répondu en décrivant les différentes démarches qu’elle a entreprises depuis plusieurs années pour inviter les victimes de G. Lamande à se manifester. Concernant sa demande de publication d'une liste de noms de jésuites abuseurs, elle lui a précisé que son choix avait été de publier les lieux des collèges des jésuites concernés. Elle s’est opposée à sa demande de consultation de ses archives.
Par la recommandation contestée, la CRR, après avoir retenu que M. Martin -Vallas avait été victime des faits décrits dans sa demande, a fait partiellement droit à ses prétentions en invitant la Compagnie à, notamment, continuer à :
- rechercher activement d’autres victimes de G. Lamande et à travailler à leur identification et à la reconnaissance des actes d’abus commis par lui tout au long de sa présence au sein du Collège Saint Louis de Gonzagues à Paris (par exemple par des envois de lettres à tous les anciens élèves ayant côtoyé ou fréquenté le prêtre G. Lamande, ou par un appel à témoignages avec des précisions sur les dates et les lieux où il était en fonction au Collège Saint Louis de Gonzagues
- porter à la connaissance de M. Martin-Vallas le parcours de G. Lamande actualisé comme elle l’avait indiqué, ainsi que l’existence d’autres victimes de ce prêtre (sans préciser leur identité), et sous réserve de l’accord préalable de ses autres victimes, les mettre en contact avec lui.
En revanche, elle n’a pas accueilli les autres demandes plus générales de publication et de recherche de victimes d’autres prêtres au motif que, dans le cadre de la mission de tiers de justice dont elle a été investie par la CORREF, elle est amenée à mener un traitement individualisé de la saisine par la victime d’une demande spécifique sur des faits identifiés, avec l’Institut où les abus sexuels commis par l’un de ses membres ont eu lieu.
Sur les demandes de de réexamen
1/ M. Martin-Vallas sollicite l’accès aux dossiers de la Congrégation tenus sur G. Lamande, notamment son dossier professionnel, pour savoir si des victimes autres que celles dont il a déjà connaissance se sont manifestées, connaître les raisons pour lesquelles son agresseur a dû changer d’affectation, et enfin connaître la date du camp de Compiègne. La Congrégation lui oppose les règles internes de consultation de ses archives qui prévoient une durée de 30, 50 voire 70 ans pour certains documents, à compter de la date du décès du religieux concerné. Il n’est pas soutenu, en effet, que les archives concernant les documents établis ou reçus sur la situation et les activités de G. Lamande, relèvent des dispositions régissant les archives publiques. Les règles édictées par la Province de France de la Congrégation énoncent que « les archives des Jésuites décédés sont normalement accessibles 50 ans après leur décès » ( à la différence des dispositions gouvernant les archives publiques qui prennent en compte la date du document ou du document le plus récent figurant au dossier). G. Lamande étant décédé en 2000, la demande de M. Martin-Vallas ne peut donc être accueillie.
Toutefois, il sera donné acte à la Congrégation de ce que les dossiers dont la consultation est demandée ne contiennent, comme elle l’affirme, aucune des informations recherchées relatives à l’existence d’autres victimes ou aux raisons ayant présidé au départ de G. Lamande, de Saint- Louis de Gonzague en 1977.
Il lui sera également donné acte de son engagement à mener toute recherche utile pour déterminer l’année du camp de Compiègne.
2/ Constatant le faible nombre de victimes qui, au regard du nombre d'agresseurs connus, se sont manifestées à la suite des initiatives prises par la Congrégation, M. Martin-Vallas sollicite la réalisation d'une enquête approfondie sur l'ensemble des religieux prédateurs qui ont sévi au sein de la Congrégation, en recherchant et en interrogeant les personnes avec lesquelles ils ont été en contact. La Congrégation fait valoir qu'une telle demande dépasse, par la généralité de son objet, la compétence de la CRR et ignore l'important travail qu'elle a réalisé pour que justice et vérité se fassent concernant les abus et agressions perpétrés par des Jésuites
Conformément à la mission que lui a confiée la Conférences des religieux de France, la CRR émet à l'attention des Instituts des recommandations portant sur la reconnaissance des faits et les réparations demandées par chaque victime qui la saisit. Ces réparations sont toujours personnalisées, globales et plafonnées ; personnalisées parce qu'elles sont définies au cas par cas ; elles consistent le plus souvent en une réparation financière, un acte de reconnaissance public ou privé, une journée mémorielle, et une recherche d'autres victimes.
Si, au regard notamment du nombre de recommandations qu'elle émet à l'adresse d'un même institut religieux, la CRR peut, dans ses rapports avec celui-ci, lui demander d'engager des recherches plus actives et publiques des victimes de plusieurs religieux, elle ne peut, à l'occasion d'une saisine individuelle, recommander et encore moins imposer des recherches de victimes d'agressions sexuelles commises par des religieux étrangers à cette saisine .
Il suit que M. Jean-Pierre Martin-Vallas ne saurait solliciter des mesures réparatrices d’agressions dont il n’a pas été la victime, telles que l’enquête approfondie qu’il réclame sur « 70 jésuites » .
3/ M. Martin-Vallas demande alors qu’un appel à témoins soit lancé en citant nommément son agresseur. La Congrégation, après avoir indiqué que cette question devrait être étudiée pour prévenir toute action de la famille de G. Lamande, a exprimé son consentement à la diffusion d’un appel à témoins nominatif. Il lui en sera donné acte, étant rappelé que les parties ont été informées par une note juridique des possibilités de citer nommément dans un appel à témoignages la personne mise en cause. M. Martin-Vallas sera tenu informé du nombre des personnes qui se seront manifestées, leur identité ne pouvant lui être communiquée qu’avec l’accord exprès de celles-ci.
En conséquence,
- Donne acte à la Compagnie de Jésus de ce que les dossiers dont la consultation est demandée par M. Martin-Vallas ne contiennent aucune des informations recherchées relatives à l’existence d’autres victimes ou aux raisons ayant présidé au départ de G. Lamande, de Saint- Louis de Gonzague en 1977 .
- Lui donne également acte de son engagement à mener toute recherche utile pour déterminer l’année du camp de Compiègne et à en tenir informé M. Martin-Vallas.
- Dit que, comme elle en a accepté le principe, la Compagnie de Jésus devra diffuser un appel à témoignages citant nommément l’agresseur de M. Martin-Vallas, et tenir ce dernier informé du nombre de personnes qui se seront manifestées, leur identité ne pouvant lui être communiquée qu’avec l’accord exprès de ces dernières.
Rejette les autres demandes et maintient la recommandation en ses autres dispositions,
Dit que M. Martin-Vallas et la Compagnie de Jésus garderont à leur charge respective les frais éventuels qu’ils ont pu exposer à l’occasion du réexamen .
A Paris, le 14/06/2023
Alain Girardet
Président de la formation de réexamen